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La vie d'antan
17 mars 2010

Comme ils sont grands, ces petits !

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Le voyage en train

...Après Chagny, le compartiment était plein. Un vieux couple de paysans était monté avec un tas de bagages. La femme avait abandonné dans le couloir un panier noir à couvercle bombé où un lapin s'agitait. Elle avait laissé aussi un sac à provisions en moleskine foncée qui gênait le passage...L'homme posa sagement ses mains sur ses genoux.

Bernard remarqua la peau velue, les veines saillantes, les gros doigts calleux : des mains de gens qui payent de leur personne, <<des mains de travailleur>> comme disait son grand-père !

Au bout de quelques minutes, ses grosses mains desserèrent le bouton de sa chemise qui étranglait son cou basané puis elles fouillèrent dans les poches de la vareuse et sortirent une boite de pastilles Vichy-Etat.

- Tiens mon garçon, prends-en une, ça fait passer le temps !

Bernard accepta deux octogones allongés. (C'est pas bien de refuser quand quelqu'un veut vous faire plaisir !) Certes il aurait préféré des caramels - ou - ces bonbons acidulés qu'il aimait tant, ceux qui sont en forme de quartiers d'orange.

Tout près du couloir, un militaire, le calot plié à l'épaule, se levait régulièrement pour aller fumer sa cigarette. La porte coulissante du compartiment resta ouverte et Bernard put suivre le défilé des promeneurs. Certains passaient rapidement, d'autres stationnaient devant la vitre baissée, les bras sur la barre chromée, les cheveux au vent.

En face de Bernard, un vieux monsieur au visage violacé chercha quelque chose dans son cabas resté à ses pieds. Il prit par le cou une bouteille enveloppée avec du papier journal, tira le bouchon avec les dents et se désaltéra. Il s'essuya la moustache rougie en l'écrasant avec le doigt au niveau des lèvres.

- Il fait soif dit-il.

Bernard pensa à son voisin de Paris qui disait très régulièrement,comme une plaisanterie : <<Moi, je n'ai jamais soif...je bois toujours avant !>>

A Paray-le-Monial, le train glissa à travers l'éventail des voies puis s'arrêta. Bernard observa toutes ces lumières, tous ces gens inconnus qui se hâtaient avec des valises, des corbeilles en osier, des sacs à main. Un chariot roula sur la quai avec un grondement de tonnerre. Quelques instants plus tard, les portes claquèrent, un coup de sifflet se fit entendre, les roues se mirent à vibrer. Après les dernières lueurs ce fut la pénombre.

Les eaux d'une rivière scintillèrent dans l'or du soir. Des grisailles noyaient. Des grisailles noyaient les haies et les bosquets qui disparaissaient lentement. Bernard n'aperçut bientôt plus grand-chose. La vitre était devenue un miroir qui renvoyait l'image des personnes assises dans le compartiment.

Quelques étoiles brillaient dans le ciel grisâtre. Le garçon commençait à s'inquiéter : <<Et si l'oncle Paul n'était pas à la gare de Moulins ? >>

Le train fonçait dans la nuit. Des sonneries retentissaient, auxquelles répondit le sifflet de la locomotive.

Le vieux couple avait lié conversation avec un homme et une femme qui s'étaient installés juste devant eux.

- Les récoltes ça dépend du temps et, cette année, il a fait trop sec. De nos jours le travail ce n'est plus ce que c'était !

- Poil au nez ! rajouta tout fort le soldat.

Après cette véhémente intervention, un petit silence se fit puis les visages se décrispèrent pour faire place à de larges sourires. Les conversations reprirent de plus belles

- ... je ne sais pas si on va vers le beau temps ?

- Poil aux dents ! s'exclama un autre.

- ... je voudrais bien redevenir jeune, avoir toute la vie devant moi.

- Poil au doigt !

Cette fois, c'était la vieille dame qui s'était lancé, toute fière d'elle et à la grande surprise de tous. Elle ne voulait pas être en reste !

Bientôt un contrôleur à casquette déboucha dans le compartiment.

- Billets, s'il vous plait !

Bernard, très organisé, eut tôt fait de retrouver le petit carton. L'employé des chemins de fer poinçonna machinalement le ticket, distrait par un petit chien qui trottait dans le couloir.

- Quand même les gens pourraient retenir leurs chiens en laisse.

- Poil aux f... ! pensa Bernard qui trouvait le jeu amusant. Cependant il ne dit rien et rit tout seul.

Soudain Bernard eut un sursaut, un tornade de fer hurlante prenait le wagon en écharpe. Des lumières folles galopaient près des vitres. Les deux convois, en sen inverse, échangeaient au passage des battements, des halètements, des coups de sifflet furieux. Vite, la muraille s'écarta, le vide se creusa, quelque chose fuyait dans la nuit. Le grondement des roues s'apaisa et devint aussi doux qu'une musique mais Bernard sentit bien qu'il ne s'endormirait pas. En face de lui, le militaire s'était assoupi, le corps disloqué, la tête tremblante.

- Moulins ! Moulins !

Bernard récupéra ses bagages.

A peine descendu du train, il était soulevé de terre. L'oncle Paul était là, souriant de toutes ses dents bien blanches, l'embrassant sur les deux joues.

- Alors l'artiste, t'es un grand maintenant ! Tu voyages tout seul !

- C'est pour toi, dit Bernard, s'empressant de lui tendre le paquet ficelé.

- Ca gigote là-dedans, ça pourrait bien être de l'huile de foie de morue ou du vitriol. Ils veulent m'empoisonner tes grands-parents ! Paul attrapa les autres bagages.

- Ce n'est pas le tout mais on a de la route à faire !

Ils quittèrent Moulins. Bernard dut répondre aux questions de son oncle.

- Et comment ça va tes grands-parents ?

- Et la récolte, elle sera bonne cette année ?

Paul toujours aussi bavard, n'en finissait plus :

- Je vais pouvoir t'emmener à la pêche et tu m'accompagneras aux foires...

La Monaquatre passa ensuite les quais le long du Cher et quitta Montluçon. Bernard s'était endormi quelque peu... La voiture s'engouffra maintenant dans la nuit et Bernard se replongea dans un demi sommeil, rêvant aux vendanges chez ses grands-parents de Bourgogne.

à suivre...

Roman de Claude Taudin

Comme il sont grands ces petits !

Editions : Encre violette

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Commentaires
L
La Monaquatre passa ensuite les quais le long du Cher.....L oncle roulait dans une Renault contruite entre 1931 et 1937. Claude Taudin a écris ses histoires vers 1950. Il faut tenir compte aussi qu a cette époque, les voitures et l argent étaient encore rares.Et pendant 5 ans elle n a pas roulé faute d essence. Je me souviens, en 60 avoir vu des gens qui roulaient avec des autos ayant 30 ans.Les trains avaient encore de beaux jour devant eux.
La vie d'antan
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